Et il repensait à ces derniers quelques mois, à ce bonheur qu'il avait touché du doigt, à présent évanoui. Il s’était dit, en ces temps bénis, que jamais il n’avait été aussi heureux, jamais il n’avait ressenti aussi fortement cette vague douce et tiède de félicité ; il en avait alors apprécié chaque minute en se disant que ces instants précieux entre tous, qu'il savait impermanents, devraient, plus tard, pouvoir revenir sans effort à la surface de ses pensées, car ils étaient miraculeux. Mais les miracles ne durent jamais vraiment longtemps. Il ne pensait pas, alors, que le conte de fée s’achèverait si vite, ni si brutalement. Ni avec autant de souffrance. Il ralentit le pas, tenta de s’enfoncer au plus profond de cette nostalgie. Il avait l’impression que ces trois mois avaient duré des années. Il repensait à toutes les sorties qu’ensemble ils avaient faites, tous les gens qu’il avait connu… les reverrait-il un jour ? Il repensait à tous ces gestes amoureux, à ce regard étoilé inoubliable et à ce sourire indicible de Mona Lisa ; et à cette infinie tendresse qu'il n'avait pas su voir se tarir.
Tandis qu’il rentrait dans son immeuble, les yeux embués de toutes ces amères réminiscences, il s’attarda un peu dans la courette, et fuma une cigarette. Encore des souvenirs, plus anciens cette fois-ci. Il avait été heureux aussi, lui semblait-il, durant quatre années lointaines… Simplement, ces souvenirs-là étaient déjà enfouis plus profondément dans son esprit. Flashes de bonheur, mais tempérés, eux, par le fait que tout n’avait pas été sans ombres ni coups de grisou... Il se remémorait dans un demi-sourire ses sorties nocturnes (prenant pour excuse de sortir les poubelles ou chercher le chat qui prenait l’air) au cours desquelles il en profitait pour fumer une cigarette, comme celle qui se consumait à présent doucement entre ses doigts. Il se dit que les deux femmes qu’il avait le plus aimé étaient à cet instant précis très loin de lui… Mais les choses changent, inexorablement, et les moments rares de bonheur disparaissent dans les limbes du cerveau aussi sûrement qu’un feu d’artifice ayant explosé retombe à terre. Mais on ne le voit pas retomber ; on ne sent pas les souvenirs qui s’effilochent, on ne se rend compte qu'après coup que ce qui nous faisait vivre nous fait à présent souffrir. Ou pire, ne nous fait même plus souffrir. Il monta lentement les marches qui mènent au cinquième étage, et se laissa submerger par ce bonheur perdu, cette complicité interrompue, par ce vide immense et béant qui le tançait, intense et lancinant.
Paris, le 13 juillet 2007
Commentaires
Bravo! J'aime beaucoup votre style. Et ce thème me touche tout particulièrement.