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bonheur perdu

  • Sans Artifice...

    En ce soir de 13 juillet, rythmé par les échos lointains d’un feu d’artifice et de pas mal de fêtes privées dont les musiques entrainantes parvenaient jusqu’à ses oreilles, un blues diffus le prit. Peu de signes annonciateurs, mais il le sentait prendre possession de ses sens. La solitude. Solitude toujours plus insupportable lorsque l’on sait que des gens s’amusent et que des couples s’enlacent et que la vie va. Il sortit de l’appartement pour prendre l’air ; cela lui ferait du bien, sans doute. Le blues était là, à présent, presque tangible. Il tentait de faire vagabonder ses pensées, de ne pas se laisser attraper, tel un gardon dans une mauvaise nasse, par les souvenirs multiples qui l’assaillaient à son corps défendant. Surtout, il ressentait cette solitude de façon plus aigüe que jamais, lui qui se pensait solitaire. Ses pas le portèrent dans quelques rues avoisinantes, où des soirées battaient leur plein. Il percevait comme dans un rêve les cris des convives qui s’amusaient, les rires des fêtards, les musiques rythmées. La vision des fenêtres allumées d’où provenaient ces rires, et cette légèreté qui lui était à présent étrangère, le frappaient plus durement qu’un poignard acéré. Poignante randonnée. Oui, cette prise de conscience subite de sa solitude brutale le désespérait.

    Et il repensait à ces derniers quelques mois, à ce bonheur qu'il avait touché du doigt, à présent évanoui. Il s’était dit, en ces temps bénis, que jamais il n’avait été aussi heureux, jamais il n’avait ressenti aussi fortement cette vague douce et tiède de félicité ; il en avait alors apprécié chaque minute en se disant que ces instants précieux entre tous, qu'il savait impermanents, devraient, plus tard, pouvoir revenir sans effort à la surface de ses pensées, car ils étaient miraculeux. Mais les miracles ne durent jamais vraiment longtemps. Il ne pensait pas, alors, que le conte de fée s’achèverait si vite, ni si brutalement. Ni avec autant de souffrance. Il ralentit le pas, tenta de s’enfoncer au plus profond de cette nostalgie. Il avait l’impression que ces trois mois avaient duré des années. Il repensait à toutes les sorties qu’ensemble ils avaient faites, tous les gens qu’il avait connu… les reverrait-il un jour ? Il repensait à tous ces gestes amoureux, à ce regard étoilé inoubliable et à ce sourire indicible de Mona Lisa ; et à cette infinie tendresse qu'il n'avait pas su voir se tarir.

    Tandis qu’il rentrait dans son immeuble, les yeux embués de toutes ces amères réminiscences, il s’attarda un peu dans la courette, et fuma une cigarette. Encore des souvenirs, plus anciens cette fois-ci. Il avait été heureux aussi, lui semblait-il, durant quatre années lointaines… Simplement, ces souvenirs-là étaient déjà enfouis plus profondément dans son esprit. Flashes de bonheur, mais tempérés, eux, par le fait que tout n’avait pas été sans ombres ni coups de grisou... Il se remémorait dans un demi-sourire ses sorties nocturnes (prenant pour excuse de sortir les poubelles ou chercher le chat qui prenait l’air) au cours desquelles il en profitait pour fumer une cigarette, comme celle qui se consumait à présent doucement entre ses doigts. Il se dit que les deux femmes qu’il avait le plus aimé étaient à cet instant précis très loin de lui… Mais les choses changent, inexorablement, et les moments rares de bonheur disparaissent dans les limbes du cerveau aussi sûrement qu’un feu d’artifice ayant explosé retombe à terre. Mais on ne le voit pas retomber ; on ne sent pas les souvenirs qui s’effilochent, on ne se rend compte qu'après coup que ce qui nous faisait vivre nous fait à présent souffrir. Ou pire, ne nous fait même plus souffrir. Il monta lentement les marches qui mènent au cinquième étage, et se laissa submerger par ce bonheur perdu, cette complicité interrompue, par ce vide immense et béant qui le tançait, intense et lancinant.

    Paris, le 13 juillet 2007