Jeudi 14 septembre 2006. Il est vingt heures. Je viens de rentrer chez moi. De retour d'Arcueil (journée de formation chez FT) je me suis arrêté pour voir le dernier film de Xavier Giannoli, Quand j’étais Chanteur. Je m’attendais à un beau film ; je n’en suis encore pas remis. Pas envie de m’en remettre. Envie d’en remettre une couche, de me coucher et de rester avec cette triste histoire. Premier geste une fois arrivé : écouter en boucle la chanson de Christophe, Les Paradis Perdus. Titre bluesy par excellence. Tout ce dont j’ai besoin. « Peut-être un beau jour voudras-tu / Retrouver avec moi les Paradis perdus ». Je m’attendais à un film émouvant ; je suis bouleversé. L’alchimie est magique. La rencontre Depardieu/France est d’une sensibilité et d’une retenue renversante. Je prédis des César à foison à ce film. « Dans ma veste de soie rose / Je déambule morose », chante Christophe, de sa voix si particulière, qui sublime l’émotion ressentie à la vision du film. Emotion qui m’a accompagnée durant le trajet ouateux en Métro, comme dans un rêve, jusqu’à la maison. Je veux profiter de ce que l’émotion ne m’ait pas encore quittée pour tenter d’en reproduire un peu dans ces lignes. Vous faire profiter des sentiments à vif qui sont les miens et que je chéris précieusement. Que dire de Quand j’étais Chanteur, si ce n’est que rarement je fus aussi touché, viscéralement touché, par un film. Je suis resté prostré dans mon fauteuil à la fin du générique. Depardieu et l’adorable Cécile de France n’y sont pas étrangers. La mise en scène subtile renforce la profonde humanité qui sourd de la pellicule, comme des larmes qui ne pourraient se retenir de couler. La Comédie Humaine. Les émotions contradictoires. Les valses hésitations. L’amour qui pointe sans que l’on sache si l’on veut s’y abandonner. Les souffrances solitaires de vies qui se délitent. Faire face. Faire comme si, l’âme perdue comme les Paradis éponymes, le cœur fêlé, les corps qui s’en mêlent et les pensées qui s’emmêlent. Prendre chaque petit moment passé ensemble comme une pastille lénifiante, un remède peut-être bien trop dérisoire au mal-être existentiel. Les acteurs jouent au plus juste. Sans en faire trop. Je me suis laissé happer par l’histoire, par l’atmosphère, par le charme simple de Gérard et Cécile. Par les personnages campés au plus près d’émotions à fleur de peau.
Parlons des difficultés récurrentes des relations vraies dans lesquelles chacun apprivoise l’autre. Dans le film, c’est au travers de visites de maisons que Depardieu se confie à France et l’amène à le découvrir et à l’apprécier. C’est un motif fallacieux pour notre chanteur, une excuse fumeuse pour approcher notre jeunette, qui travaille dans une agence immobilière ; séances de psychanalyse immobilière… Séduction entre deux pièces. Carte de visite jouée lors de visites à la carte. Une scène que j’ai trouvée extrêmement émouvante : celle où Cécile craque de se voir rejetée par son fils et maltraitée par son ex au téléphone. Gérard troublé, tentant maladroitement d’insuffler un peu d’espoir dans ces ténèbres… Autre scène poignante : Cécile dansant un slow avec son patron qui la convoite, sous le jaloux regard blessé de Gérard. Slow langoureux qui semble durer une petite éternité. J’aurais aimé que le film durât au moins une petite éternité pour pouvoir en savourer ad lib chaque moment, chaque seconde : les mots, les maux, l’émotion. Les instants de vie volés. Les bribes d’existences en souffrance. Les regards. Magiques. Beaucoup de regards magiques. C’est un film qui m’a ému parce que je trouve que rien n’est aussi magique que ces secondes de séduction suspendues entre ciel et terre, entre vains espoirs et probable réalité. Tout est toujours possible entre deux regards, surtout si l’un est celui de Cécile de France, troublante, trouble et troublée dans ce rôle. Elle m’a sans doute rappelée une certaine connaissance, une grâce, une retenue, une fêlure cachée. Une humanité, une sensibilité, une attention à l’autre. Belle scène aussi, lourde de signification, que celle où Cécile se rend chez Gérard, invisible depuis plusieurs jours, que l’on devine suicidé, et qui est comme un navire en perdition finalement pris en charge in extremis par un remorqueur attentif, par un bienveillant Pilote.
Et tandis que Christophe égrène encore et encore ses nostalgiques couplets, je pourrais disserter longtemps. Je retournerai voir ce film : je dois être un peu maso. Je me complais parfois dans la tristesse, le spleen, et je m’en vêts comme d’une couverture protectrice, à l’abri des regards extérieurs indiscrets. Je crois que je vais garder cette couverture encore un peu sur moi ce soir… Et comme en symbiose parfaite avec mes mots bleus, alors qu'il est presque 23 heures et que j'achève de réviser ce texte, il commence à pleuvoir sur Paris. L'orage gronde et les éclairs trouent le sombre ciel parisien. Il ne manquait plus que ça. Mais demain est un autre jour. Quand j’étais enchanteur.