Mardi 16 septembre 2008 | J'écoute sur France Inter une longue interview de Manset, entrecoupée de titres de l'animal. Toujours cette voix envoûtante, un peu éraillée. J'écoute depuis hier soir son dernier CD, Manitoba ne Répond Plus, et je ne m'en lasse pas. 10 titres, d'une puissance émotionnelle démente. 10 joyaux, rien à jeter, même si, toujours, la force du matériel ne s'impose qu'au bout de plusieurs écoutes... Il faut rentrer dans l'oeuvre, se la faire sienne, s'immerger dans la poésie et l'imaginaire de Manset ; plaisir de retrouver cette voix à nulle autre pareille, qui frôle parfois la limite, qui semble prête à casser tant elle monte dans les aigüs... Quelques titres m'ont tiré des larmes, le piano est bien en avant, les thèmes sont toujours les mêmes : nostalgie de pays qui se délitent, réminiscences de l'enfance, scènes de vie sublimées par une vision pleine d'équanimité et d'humanisme. Manset n'est pas bouddhiste pour rien.
Cette fois-ci, après nous avoir emmené en Afrique (avec son disque précédent, Obok), il nous transporte en Amazonie. Avec aussi deux beaux texte aux références parisiennes : Le Pavillon de Buzenval et Genre Humain. Manset regrette une fraternité et une humanité désormais obsolètes. Il se lamente sur des valeurs humaines perdues, il pleure un monde oublié ; il nous ouvre les yeux aussi. Comme un Légo, premier titre qui s'étire majestueusement sur plus de 9 minutes, regard contemplatif et plaintif, aux accents Gospels. Dans un Jardin que je sais, celle-là m'a ému jusqu'aux larmes. Piano de toute beauté, minimalisme des orchestrations, voix posée, belle comme jamais. Une chanson d'amour, bien évidemment. Le Pays de la Liberté, sans doute la plus profonde, la plus violente, la plus pessimiste de l'album. J'ai vu des hommes décharnés / j'ai vu des femmes / des enfants aux cheveux orangés / j'ai vu des larmes... Constat accablant d'une liberté perdue, qui nous a échappé. Et les hommes se perdent en chemin, éperdus, à la recherche d'un pays de la Liberté qu'ils ne trouveront jamais, même si nous foulons aux pieds un erzartz de celui-là... Et la voix s'envole, et elle crisse comme du verre, et elle file des frissons. Aux Fontaines que j'ai bu, plus reposante et à l'orchestration sublime. Quand une Femme, encore un titre émouvant, une femme se souvient d'émotions passées et oubliées, retrouve un papier plié sous un oreiller, sous un petit coussin, doux comme un mocassin... et une tasse émaillée, qu'un rayon fait briller... Beau à pleurer. Ensuite, Genre Humain, sorte de road-movie parisien, nocturne et interlope, récit d'une rencontre entre deux solitaires, avec en toile de fond, Paris, le Louvre, Les Lilas, le pont des Arts... Voulez-vous Savoir déboule alors, plus rock, scandée, saccadée, qui nous rappelle les vies que nous avons, sans le vouloir. Ô Amazonie, encore une chanson d'une force exceptionnelle, évidemment consacrée à la forêt qui disparaît. C'est là qu'on retrouve le Manitoba, avion cassé en deux, plié au beau milieu de la jungle, qui se rompt contre un mur de bambous. Belle poésie, échappatoire hypnotique vers un ailleurs en cours de dévastation. Le Pavillon de Buzenval, évocation de souvenirs amoureux, de souvenirs détruits. Et puis, pour finir, Dans mon Berceau j'Entends, jolie mélopée beaucoup plus légère, qui clôt l'album sur des notes plus sereines, plus calmes... Et puis on repasse le CD, encore et encore, parce qu'on ne s'en lasse pas, parce que Manset est comme un bon vin, un grand cru, il faut le humer, le faire se décanter, y revenir encore et encore... L'interview de France Inter s'achève, Manset a parlé de ses collaborations avec Bashung, Julien Clerc, nous a emmené en Thaïlande, m'a subjugué comme d'habitude. Le Pays de la Liberté est à écouter absolument, au calme, au casque, dans le noir, un verre de vieux Bordeaux en main, à répétition, pour en goûter les nuances subtiles, en saisir les émotions diverses, découvrir à chaque fois des choses qui nous avaient échappé... Et vous, qui l'avez écouté, qu'en pensez-vous ?