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  • Méditation Bucolique

    Au bout de la rue, comme au bout d’un tunnel, se trouvait une zone non bétonnée qui ne méritait pas tout à fait le titre de plus bel espace vert du quartier, mais qui pouvait néanmoins se targuer de porter assez haut cette couleur d’espoir. Premier regard qui embrasse l’étendue paisible, îlot de calme et de sérénité en plein cœur de la ville ; il en connaissait d’autres, des endroits comme celui-là, similaires en tant qu’ils représentent une véritable parenthèse de bien-être au beau milieu de la fureur et du bruit citadins : il y avait par exemple cette crypte près de Montparnasse, cette « oasis » comme il l’appelait, authentique sanctuaire préservé de toute agression extérieure, au sein de laquelle les gouttes d’eau évanescentes de la grande Clepsydre du Temps semblaient suspendre leur inexorable chute vers les oubliettes du passé pour s’accrocher aussi désespérément que vainement – au bout du compte – à l’instant présent.

    Ici, dans ce havre de verdure, entre chien et loup, où les trottinettes roulaient et les pigeons roucoulaient, les badauds oisifs étaient allongés sur l’herbe ou assis, lisant, sur les bancs. Il se sentait bien, parmi les animaux et les hommes rendus plus dociles et calmes par les derniers rayons du soleil, qui ne tarderait d’ailleurs pas à se coucher derrière les hautes tours de ce quartier qui fut jadis à la pointe de la modernité.  L’astre royal quittera la Seine dans quelques minutes, faites place ! Les canins étaient tirés par leur maître et par leur laisse, et les gamins étaient poussés par leur curiosité. Un certain bien-être émanait de ce tableau urbain quasi idyllique ; les enfants qui jouaient, surtout, contribuaient à renforcer cette image qu’il avait désormais présente à l’esprit : celle d’une sorte de paradis perdu, et retrouvé au milieu d’un Arrondissement de Paris, comme par magie ou comme par miracle. Incidemment, il n’était ni à court de magie ni à court de miracles en cette belle fin de journée estivale.

    L’énergie vitale coulait en lui, telle une sève bienfaisante, tel un miel lénifiant, qui maintenait ses sens doucement en alerte et faisait se dessiner sur ses lèvres une esquisse de sourire et lui faisait chantonner une douce mélodie, odes à la vie, odes à la joie. Il s’assit sur un banc laissé libre et se mit à écouter une chanson de Manset ; pas une des plus sombres, crépusculaires ou désespérées, mais a contrario une chanson pleine de vie et d’espoir, de joie et d’amour. Ces chansons, retirées de la vente par leur auteur (phénomène tout de même assez unique dans l’histoire de la musique), existent néanmoins (ou ont existé et continuent de se perpétuer, passant de main en main sous le manteau - rouge, bien évidemment), et notre protagoniste eut l’heur de pouvoir apprécier et, partant, fredonner, un titre ancien nommé "Cheval Cheval". Il eut ensuite tout le loisir de méditer sur la nature humaine et sur sa relation – rien n’est simple en ce bas monde, mais il lui semblait que le degré de complexité de sa relation dépassait les normes couramment admises. Curieusement, la musique canalisait ses pensées et il n’eut aucun mal à fixer son attention – comme en méditation – sur le sujet de sa préoccupation. Léonard avait le temps pour lui, et il était temps pour lui de faire un point, qui pourrait fort bien ressembler douloureusement à un point final.