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  • LUCARNES Incarnées...

    Tout à l’heure, alors que je prenais le frais à la fenêtre de ma cuisine, je pouvais contempler juste en face le fameux immeuble maudit qui me masque la Dame de Fer, et ne m’en laisse voir que le puissant faisceau lumineux qui la couronne ; Tour Eiffel telle un majestueux phare dont la vile lumière troue l’espace enténébré de la ville Lumière.

     

    Comme autant de cases lumineuses multicolores, habitées et animées, les différents appartements non protégés par quelque rideau ou quelque store s’offrent à l’observateur extérieur et oisif que je suis en ce samedi soir. Tel logement héberge une fête (bruits de rires et d’exclamations, ponctués par des flashes de lumière aveuglants), tel autre ne me laisse voir que les intermittents pics de photons fantômes qui émanent d’un téléviseur, provoquant une alternance de noir et d’illuminations fugitives et fulgurantes d’intensité variable ; poste de télévision tel une bougie cathodique posée au beau milieu du salon, et ayant le même tremblotant effet visuel immédiatement identifiable.

     

    Je me gargarise des ces tranches de vies tridimensionnelles, et je laisse divaguer mon esprit, imaginant les destins et les vies passées de tous ces gens dont je connais rien, mais que pourtant je vois vivre et s’agiter sous mes yeux ; immeuble tel un massif kaléidoscope indécent et medium_QuartierDupleix.jpgimpudique, dont les petites cases s’allument et s’éteignent, créant un ersatz de vie, conglomérat de saynètes individuelles qui s’ignorent les unes les autres, pulsation compartimentée et artificielle et dont le patchwork, seulement visible et discernable à distance donne la vraie dimension. Frankenstein fait architecture…

     

    J'expérimente en direct le mythe de la Caverne platonicienne, l'immeuble figé et pourtant vivant et vibrant me renvoit, tel un miroir sans teint mais déformant, à ma propre réalité, ma propre vie ; tapi dans ma compatissante tanière, j'observe et j'ausculte la vie morcelée des autres, je me reflète en creux dans ces éclats de vie qui s'offrent à ma vision nocturne. Les miroirs, me dis-je, feraient effectivement bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images ; le microcosme de cet immeuble, tel une fractale mille fois répétée, mille fois amplifiée, réfère au macrocosme de la ville et de ses myriades d'habitants, si différents et pourtant si semblables. Habitants hésitants, humains habités ou hébétés, charognards hagards ou bagnards de la Ville qui les nourrit et les broit...

     

    Finalement, je gagne peut-être au change à ne pas voir la Tour Eiffel de ma fenêtre… Les vraies gens sont une source inépuisable d’observation, et encore ne puis-je saisir que des bribes de vie et de voix, des instants fugaces, des silhouettes fluettes, des éclats de sons, comme si l’immeuble était doté d’une force vitale propre, et que chaque personnage l’habitant remplissait une fonction particulière, tel une amibe, une cellule ou un micro-organisme, petit élément d’un grand tout dont il ne sait rien et n’a pas même conscience. Moi, tel une déité distante, tel un scrupuleux scripte, je vois le tableau réel, the big picture, et j’en saisis à la fois la complexité merveilleuse et la formidable vacuité.