Samedi 14 juillet 2007
Un feu d'artifice du 14 juillet (les anglais disent Bastille Day) que je n'aurais pas vu, ayant préféré passé la soirée avec deux amies - pique-nique dans un petit parc du quartier, peu connu et donc d'un calme olympien, suivi d'un verre au café LOLA - et ayant été quelque peu refroidi par le nombre incalculable des parisiens et banlieusards venus assister au spectacle. Privilège d'habiter à quelques encâblures de la Dame de Fer, je n'aurais pas eu à me coltiner la foule bigarrée et crieuse qui se pressait déjà depuis tôt dans la soirée pour rejoindre la pelouse du Champ-de-Mars. J'assistai de loin aux explosions des feux d'artifice au-dessus de la tour Eiffel, et me suis souvenu alors que je n'avais pas non plus assisté au feu d'artifice de l'an passé - pour cause de déplacement dans le Bugey. Ce sera pour l'année prochaine, inch'Allah. Le dernier feu d'artifice parisien auquel j'ai assisté eut lieu en 2005, et la photo qui illustre cette note en est un beau souvenir. Bref, après avoir pique-niqué de façon quasi royale - Bordeaux pas mauvais, salades en tous genres et succulent gâteau aux pépites de chocolat et noisettes, le tout acheté en quatrième vitesse peu avant l'heure du rendez-vous - je suis rentré à pied en racompagnant une amie jusqu'au pont de Bir-Hakeim, en fendant une foule incroyablement compacte ; qui n'a pas vu de ses yeux une telle marée humaine ne peut pas comprendre la stupéfaction qui ne manque pas de tomber sur le spectateur incrédule de cette situation inédite.
J'ai pris conscience de manière aigüe de ce que cette foule véritablement impressionnante signifiait. Je me suis souvenu que l'on célèbrait l'anniversaire de la Révolution française, rien de moins, pardonnez du peu ! 1789, si loin, si proche... Prise de la Bastille, prison dont j'avais pu contempler, hébété, l'une des véritables pierres lors d'une visite au musée Carnavalet, il y a quelques temps... Mais la véritable prise de conscience fut liée à cette foule dense et presque anxiogène ; imagine-t-on ce qu'une masse de gens comme celle-là pourrait faire, pourrait provoquer, pourrait détruire ? Le symbole de la Révolution ne se situe pas, me suis-je dit, dans les pétards dérisoires ni dans les explosifs multicolores qui font la joie des parisiens... Non, le symbole de la Révolution, je l'avais sous les yeux : ces quelque 600.000 quidams qui rentraient chez eux après avoir passé un moment, peut-être d'émerveillement, peut-être de communion - dans le meilleur des cas. Ce devait être cela, la Révolution, des millions de gens dans la rue, dans l'attente du changement, le provoquant, même. Des millions de gens qui étaient eux-même le changement. Et qui remplissaient d'effroi les tenants du pouvoir en place bien à l'abri - le pensaient-ils - dans leurs tours d'ivoire, le regard inquiet et la peur au ventre. Gandhi n'a-t-il pas dit : Soyez vous-même le changement que vous désirez voir dans le monde ?
Car il y a quelque chose de l'ordre du viscéral, à contempler ainsi autant de monde dans si peu d'espace... Quelque chose qui court-circuite toute vélléité de réflexion, qui met à bas le mental. C'est le côté animal qui surgit comme ça, à l'improviste, lorsque l'on se retrouve au milieu d'autant de ses semblables. Certes, c'est le tout-venant qui s'empressait en ce soir de 14 juillet 2007 de rejoindre leur domicile, le portrait-robot est vite réalisé, vite intégré ; mais encore une fois, que serait à même de réaliser une telle masse ? une telle concentration humaine ? Et j'ai aussi saisi l'impérieuse nécessité qu'ont les puissants à se protéger de toutes les façons de cette foule-là. La nécessité de brider les élans impulsifs et révolutionnaires. Les médias. Toutes ces illusions dont on nourri la masse afin de l'empêcher de trop réfléchir. Je me rappelle du film de Noam CHOMSKY : Les Médias ou les Illusions Nécessaires, que j'avais vu à l'époque où j'étais étudiant linguiste à Paris III. La société de consommation. La désinformation. Tout ceci, que je réprouve, je le comprends. J'en comprends même la finalité : comment une société pourrait-elle perdurer si tous les quatre matins elle laissait se soulever les individus qui la composent ? Et surtout, comment ne pas trembler devant 600.000 personnes qui seraient toutes agitées de comportements violents ? Heureusement, assister à un feu d'artifice reste bon enfant... Fêter la victoire de l'équipe nationale de football peut mener à quelques débordements, mais se concrêtise aussi par un moral amélioré... et par l'achat de beaux écrans de télévision flambant neufs.
Mais ce cynisme peut aussi laisser la place à un sentiment plus spirituel, plus élevé... Je me suis dit aussi que face à cette foule compacte, composée de myriades d'individus distincts et autonomes, je me sentais moi-même plus individu, mais aussi plus insignifiant. Un grain de poussière parmi des millions - des milliards - d'autres. Certes, l'étendue de ce qui définit l'humanité est bien vaste, mais comment ne pas se comparer à une petite fourmi perdue dans la fourmillière qu'est Paris ? Un grain de poussière, certes, mais un grain de poussière unique, intelligent et conscient. Ce qui rassure - et effraie en même temps - c'est que certains grains de poussière sont diablement plus uniques, plus intelligents et plus conscients que d'autres ! C'est avec ces quelques pensées que je suis moi-même rentré en mes pénates, tentant de me frayer un chemin dans la foule et dans les rues impraticables. Ravi de retrouver un peu de calme et de quiètude chez moi, ravi de retrouver Manset qui ne quitte plus mes yeux et mes oreilles.
Commentaires
Une réflexion des plus pertinentes comme d'habitude...Je voudrais juste te donner mon opinion de prof d'histoire, la révolution c'est surtout des milliers (dans la rue) - des millions (dans toute la France) de gens qui crèvent de faim et qui n'ont plus rien à perdre, voilà pourquoi ils se révoltent. De nos jours les Français sont beaucoup trop repus et con-sommateurs pour se révolter contre quoi que se soit (je m'inclue dedans bien sûr), comment trouver le courage de se révolter quand on risque de perdre une vie confortable, la sécurité...ect. Il n'y a que le quart monde (nos sdf, nos sans-papiers...) qui soient capables de déclencher cette révolution-là, il faut peut-être encore du temps et qu'ils se trouvent quelques "Danton" pour les guider mais je crois que cette révolution aura lieu, mais dans combien de temps? A moins que ne nous vienne quelque politique qui entreprenne les réformes nécessaires, donc pas avant 5 ans... :-)