Une rencontre comme on en fait tous les siècles. Enfin, presque… Tous les 96 ans peut-être. Hier soir, à l’occasion d’un excellent repas en excellente compagnie, qui se tînt dans le Passage Brady, haut-lieu de la culture indienne à Paris, j’ai fait la connaissance d’une épatante Mamie de 96 ans, bon pied bon œil, jamais à court d’humour et pétillante comme pas deux. Cette Mamie (puisqu’elle désire elle-même qu’on la nomme ainsi) habite dans l’immeuble depuis la bagatelle de 72 ans, elle en a vu défiler, des voisins ! Mais plus intéressant encore, elle est un témoin privilégié des changements nombreux qui eurent lieu dans ce Passage haut en couleurs, mais qui fut originellement peuplé par des artisans… il y a une cinquantaine d’années de cela ! Et l’on se rend compte, à discuter de choses et d’autres avec la Mamie, ô combien le temps passe vite et ô combien les choses de la vie sont impermanentes… Nous apprîmes que tel petit restaurant du Passage était jadis une échoppe de menuiserie, que telle autre boutique était tenue par Mamie en personne (bonneterie), et que la présence indienne dans le Passage date d’il y a une décennie tout au plus… Mamie nous décrivit avec force détails ses escapades à Bruges, Oran, Florence… Elle possède, outre un solide talent de narration et une mémoire à faire pâlir d'envie les petits jeunots que nous sommes (et quoi qu'elle puisse en dire, n'est-ce pas, Mamie ?), un sens de l’humour étonnant et une ironie qu’elle applique aussi bien aux autres qu’à elle-même, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.
A son contact, on effectue une douce régression à une époque que peu d’entre nos contemporains auront connue ; rendez-vous compte, Mamie est née en 1911, elle a pratiquement vécu tout le vingtième siècle, et gageons qu’elle vivra une bonne partie du vingt-et-unième ! On se rend compte que les seniors sont la mémoire vivante de notre société, et on ne se lasse pas d’écouter telle anecdote ou telle description de la vie telle qu’elle était il n’y a finalement pas si longtemps que cela… Nous avons par exemple appris, nous-autres béotiens du vocabulaire usité il y a quelques années et tombé depuis en désuétude pour cause de disparition des métiers auxquels il se réfère, un terme qui décrit les petits rubans utilisés pour nouer les paquets cadeaux : bolduc. Voici un mot devenu si rare que même moi, toujours à l’affût des termes peu usités ou sortant de l’ordinaire, je n’avais jamais entendu. Que n’ai-je point vécu au tournant du siècle, pour être le témoin de ces activités aujourd’hui disparues : bougnat, vitrier ambulant, menuisier, repriseuse de bas nylon… Autant de métier sans objet de nos jours, puisque nous vivons à l’époque du tout-jetable ; plus besoin de réparer quoi que ce soit, on nous dit : « Ah mais c’est que cela coûterait plus cher de réparer que d’en acheter un neuf, ma brave Dame ! » Et oui.
Ebaubis devant ces vestiges oraux du passé, sans voix face à ce témoignage d’une époque surannée, ébahis devant tant d’authenticité, nous songeons à enregistrer Mamie afin d’écrire un livre-témoignage que nous pourrions publier à l’occasion de son centième anniversaire… Je me perds dans mes pensées et me dis que finalement, ce Blog constitue un témoignage de mon époque que je montrerai peut-être à mes voisins dans 60 ans, et j’aurai, peut-être, moi aussi, un petit sourire aux lèvres devant leur air ébahi…
Je dédicace ce petit texte :
- avec toute mon amitié à nos hôtesses, V. et S.
- avec toute mon admiration... à Mamie
- et avec tout mon amour... à ma Mie !
Commentaires
Bonjour,
Merci de votre article... Il se trouve que j'ai moi aussi quelques souvenirs de ce passage Brady des années 50 tout simplement parce que je suis la fille de cette mamie...et que j'y ai passé toute mon enfance..
Nous avons récemment avec ma mère, à la suite de votre billet, essayé de reconstituer les artisans qui fleurissaient dans le passage.. Malgré quelques lacunes nous avons un paysage assez juste... cordonnier, serrurier, menuiserie, plombier, confection de tricots, imprimeur, boucherie et épiceries, bougnat, deux cafés et un restaurant ouvrier..quelques autres qui nous échappent et bien sûr remmailleuse...( dont j'ai gardé la machine dans un coin de mon grenier...)
Quand vous ferez votre livre, nous aurons de quoi dresser le décor...
Bien sûr c'est Véronica qui m'a transmis votre site....
Bien amicalement et merci encore
La fille de la mamie
Bonjour,
Je suis ravi de votre commentaire, et enchanté de vous lire ; au moins cet article aura permis de faire revivre un peu les petits métiers aujourd'hui disparus... Bonne continuation à vous, et bonne lecture de ces pages...
Bien à vous,
N!KO
Cette histoire nous a fasciné!
La prochaine fois qu'on viendra à Paris, on se rendra au Passage Brady... et peut etre on aura aussi la chance de faire connaissance avec la "Mamie"!!
:O)
L&M