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IN BLog we TRust - Page 29

  • Bleu Nuit

    Il ferma la porte avec d'infinies précautions et huma l'air nocturne, frisquet et chargé d'odeurs marines qui composaient un bouquet olfactif inhabituel et vivifiant. Léonard s'alluma une cigarette et manipula son iPod afin de faire résonner dans ses oreilles quelques accords désespérés. Léonard avait coutume de dire qu'il était du signe de la guitare, ascendant blues. Et ce n'était pas Gary Moore qui allait le contredire ce soir. La chanson, The Prophet, il la connaissait par cœur pour l'avoir écoutée en boucle, jadis, lors de la lecture d'un fabuleux roman qui parlait de bateaux sans nom et de chasse au trésor. Et d'amour, bien sûr. Il fit quelques pas dans la cour, lentement, comme pour s'imprégner à la fois de la musique et des fragrances du soir et les laisser s'infiltrer en lui, comme pour ne pas laisser s'échapper l'image shooting_star-2.jpgrémanente d'un corps de femme allongé et ensommeillé, qu'il venait de quitter et d'abandonner à la douce tiédeur d'une longère  bretonne. Son Étoile... Il s'émerveillait de constater que tout ce qui la touchait le concernait, et que tout ce qui la concernait le touchait... Et les feulements de la guitare de Gary Moore emplirent un peu plus l'espace et le temps, et ses yeux s'embuèrent tandis qu'il avançait sur le chemin menant à la plage, les yeux scrutant le ciel estival.

     

    Un frisson lui parcourut l'échine lorsqu'il ralluma une cigarette sous un grand pin marin illuminé par derrière par un lampadaire à la lumière orangée et irréelle. Il souffla la fumée bleue de sa Marlboro, qui s'éleva paresseusement dans l'air chaud et fut éclairée en contre-jour par le lampadaire caché par l'arbre majestueux. Au même moment, un riff de guitare particulièrement ensorcelant lui vrilla l'esprit et il resta là, inerte et béat, à contempler cette fumée et cet arbre, dans cette lumière orangée diffuse qui donnait un caractère fantomatique à ce petit chemin côtier, et qui  enveloppait d'un halo spectral ce grand pin et le monde autour de lui. Alors il réitéra l'expérience, expirant avec prise de conscience cet air vicié et vicieux en direction du vieux lampadaire, laissant la fumée dériver majestueusement, un sourire vissé aux lèvres et les yeux dans le vague à l'âme. Léonard descendit le chemin ensablé pour se retrouver sur la plage, entouré d'odeurs d'iode et d'un brouillard d'écume poussé par la brise océanique. Sa chanson passait en boucle mais il ne lui prêtait plus guère attention, son esprit l'avait reléguée au second plan, comme une toile de fond nécessaire qui sublimait sa perception visuelle et olfactive. Là-haut, dans ce ciel breton immense et immaculé, des milliers d'étoiles se laissaient admirer, orbes magiques aux teintes blanchâtres ou jaunâtres ; myriade de petits diamants regroupés en constellations mystérieuses, rivières et solitaires célestes qui éblouissaient d'autant plus qu'ils étaient anéantis depuis des temps immémoriaux, gemmes disparues dont l'œil, à des milliards d'années de lumière de distance, perçoit encore le rayonnement fossile comme un ultime hommage à la beauté glacée de leurs mondes engloutis. Fulgurance. Vision fugace. Une étoile filante venait de transpercer la nuit ! Ainsi en allait-il en cette soirée chaude et inoubliable : les guitares feulaient et les étoiles filaient. Et des étoiles, il devait en voir filer bien d'autres cette nuit-là, priant à chaque fois pour que son Étoile à lui ne file jamais, pour que son Amour ne se perde ni ne le perde dans quelqu'autre nuit éternelle et invisible et inodore…

     

    Au loin, les bruits de l'océan lui parvenaient étouffés par la musique qui n'avait pas cessée. Au loin, un phare brillait, pulsation rassurante et régulière, tel un quasar artificiel posé sur l'écrin immobile et irisé de l'océan, et sur lequel la pleine lune se reflétait, insensible aux admirateurs qui la dévisageaient sans relâche. Pour son Étoile, Léonard irait bien la décrocher, cette lune qui devait en connaître, des secrets, à force de surveiller les humains depuis que le Monde est Monde… Peut-être sa face obscure cachait-elle tous ces secrets, mis à l'abri des regards et jalousement protégés ? Léonard émergea soudain de ses pensées, le cou endolori à force de regarder en l'air, et se dit qu'il était temps de regagner ses pénates et la chaleur d'icelles et la tiédeur de ce corps de femme qu'il avait abandonné il y avait de cela une éternité. Il remonta par le chemin ensablé, retrouva son pin marin et ses repères, puis s'introduisit silencieusement dans la bâtisse enténébrée afin de ne pas réveiller la prunelle de ses yeux, qui, en dépit du magnifique spectacle de cette nuit, ne s'émerveillaient jamais davantage que lorsqu'ils contemplaient ce corps alangui, ce sourire qui emportait tout et ce regard étoilé inoubliable, irisé comme l'océan, et aux couleurs de ciel breton. Il se dit qu'il ne s'était jamais senti aussi épanoui et aussi heureux ; la félicité irriguait le moindre de ses vaisseaux capillaires, le bonheur l'innondait, plus rien n'existait ce soir-là que cet étrange état second serein... Il se glissa dans les draps et rêva d'étoiles.